Chapitre Dix-Neuf
Eve était furieuse contre Wuenheim. Comment avait-il osé la faire suivre ? Quel goujat ! Le gardien de la paix Sarras, qui conduisait maintenant prudemment en scrutant régulièrement son rétroviseur, écoutait la jeune femme envisager la fin de son idylle avec le commissaire. Elle jurait que tout était bien fini entre eux deux. Eve Saint Hilaire prit soin de mettre à exécution ce qu'elle venait d'annoncer. Elle sortit son téléphone portable et se mit à taper frénétiquement sur les touches du clavier. Yvan Sarras tenta bien de la dissuader en trouvant des excuses à cet homme pourtant si désagréable, mais elle ne voulait rien entendre. Son acte était inexcusable. Le policier expliqua calmement qu'il était normal que le commissaire Wuenheim s'inquiète de la protection de sa compagne au regard des derniers événements. Mais Eve était repartie sur ses grands chevaux. Elle réclamait de la franchise, oubliant déjà qu'elle lui avait également menti, la nuit dernière. Une sonnerie indiqua l'envoi du texto vers son malheureux destinataire. Voilà ! C'était fait ! En un laps de temps record, elle venait officiellement de rompre avec lui. Elle jeta nerveusement son téléphone dans son sac à main. Si elle n'avait pas eu peur de se briser les os de la main, elle aurait donné un coup de poing rageur dans le tableau de bord.
– Vous savez, dit Sarras pour changer de sujet, je m'en veux terriblement. Nous aurions dû nous débarrasser de cette arme aussitôt après sa découverte. Cela aurait évité le pire à votre père.
Il parlait sincèrement en regardant la route. Le canal radio de la police était ouvert et les conversations des patrouilles avec la station directrice s'égrenaient en bruit de fond.
– Mon père est innocent ! lâcha-t-elle pour le mettre dans la confidence.
– Mais ! Comment est-ce possible ? s'enquit le policier.
La jeune femme, n'y tenant plus, lui confia les véritables raisons qui l'avaient conduite à retourner à l'Institut médico-légal. Elle lui détailla ses investigations : la comparaison de la taille des blessures des deux corps avec la lame, et la découverte du larynx écrasé dans la gorge de Caramany. Elle en vint aux conclusions qu'elle en avait tirées et qui donc innocentaient son père. Sarras paraissait aussi surpris des résultats des examens que du courage qu'Eve avait dû déployer pour retourner charcuter le corps de sa pauvre mère.
– Comment avez-vous été capable de toutes ces recherches ? demanda-t-il, interloqué.
– Ecoutez ! Que les choses soient bien claires, déclara-t-elle énergiquement, j'ai déjà perdu ma mère mais je ne compte pas perdre mon père. Et je suis prête à tout pour retrouver le véritable assassin de maman !
Le policier était impressionné par la volonté dont cette femme faisait preuve. Il était sous le charme.
– J'adore vous voir en colère.
***
Wuenheim claqua la porte en sortant de la salle d'interrogatoire. A l'intérieur, le mage Troplong pleurait son innocence. Très rapidement, le commissaire s'aperçut qu'il n'y avait rien de plus à tirer d'un tel hurluberlu. Il laissa à l'un de ses sbires le soin de tout reprendre à zéro avec le charlatan. Mais la matinée n'avait pas été vaine. La plainte d'un détective privé pour le vol de son véhicule par le commissaire Saint Hilaire et la dénommée Rebecca Fortia, avait été signalée à tous les services de police. Saisissant la balle au bond, l'une de ses équipes était allée à la pêche aux informations chez l'enquêteur séquestré. Remontant la piste de Saint Hilaire et suivant ses traces pas à pas, le commissaire Wuenheim avait dépêché une autre patrouille au numéro un de la rue de la Chapelle, dans le 18e arrondissement de Paris. Le bolide n'avait pas tardé à être retrouvé. Complètement désossé, il avait perdu de sa superbe. Puis une équipe d'intervention avait fait exploser la porte du studio de Marthe Saint Hilaire pour n'y découvrir que trois tasses sales et le reste d'un paquet de gâteaux secs. Wuenheim se chargea personnellement d'avertir le commissaire divisionnaire, Henri Pupillin, de l'existence de ce studio dont la boîte aux lettres indiquait le nom de sa femme. Le préretraité était entré dans une colère folle, vexé d'être pris au dépourvu par son cadet. Il le remercia quand même de cette information et lui promit de le tenir informé dès qu'il se serait entretenu avec sa femme.
Enfin, il ne lui restait plus qu'à aller faire un tour du côté de l'agence de mannequins de la dénommée Rebecca Fortia. Wuenheim avait de quoi la cuisiner ! Elle devrait s'expliquer sur son implication dans cette affaire et lui relater leur folle cavale de la nuit dernière.
Wuenheim resplendissait. Il aimait cette intense agitation autour de lui. Il donnait les ordres justes. Et à chaque action commandée revenait une information qui le rapprochait inévitablement de Saint Hilaire. C'était un chasseur. Il aimait poursuivre le gibier avant que celui-ci ne rende les armes. Et son collègue n'était pas une proie docile.
Son téléphone vibra dans la poche de son pantalon. Il le sortit rapidement afin de prendre connaissance du message. Les personnes qui eurent l'occasion de croiser le commissaire à cet instant précis, durent imaginer qu'il venait d'apprendre la mort de son père ou de sa mère. Le visage pâle, il dut s'y reprendre à trois fois pour évaluer la teneur de ce qu'il découvrait :
Honte à toi ! Me faire suivre est inadmissible. Ton manque de confiance me navre. Tout est fini. Adieu !
Bien entendu, il rappela aussitôt, mais Eve n'était pas décidée à lui parler. Il s'isola dans un bureau pour lui laisser un message où il tenta maladroitement de s'expliquer sur cette filature qu'il qualifia de protection rapprochée contre son père. Ce qui, à la réflexion, lui parut une très mauvaise idée puisque Eve ne connaissait pas le niveau d'implication de Saint Hilaire dans le meurtre de Caramany. Il enregistra donc un second message où il demanda simplement une entrevue qui lui permette de se justifier. Puis, il appela le capitaine Poncey qui répondit enfin à cette communication.
– Vous avez toujours à vue mademoiselle Saint Hilaire ? demanda-t-il sournoisement à l'enquêteur.
– Oui ! Heu... Enfin, je suis devant l'Institut médico-légal, déclara Poncey, hésitant.
– Vous n'avez rien à me dire de nouveau depuis notre dernière conversation ?
– Eh bien... non...
Poncey ne savait que dire. Comment avouer à son patron que sa compagne le trompait, avec un autre policier de surcroît ?
– Mademoiselle Saint Hilaire est sortie sur les quais pendant la pause déjeuner. Elle est allée dans un magasin de fleurs et maintenant je crois qu'elle est à son travail, dit-il tout penaud.
– Vous croyez ou vous en êtes sûr ? insista le commissaire.
– En fait ! Je crois que...
Wuenheim ne lui laissa pas le temps de terminer sa phrase. Il le traita d'incapable, le menaça de le renvoyer à la circulation puisqu'il n'avait même pas été foutu d'effectuer une filature sans se faire « détroncher ». Le capitaine dut reconnaître qu'il avait perdu la trace de la jeune femme dans les embouteillages. Mais il persista à cacher la vérité sur la rencontre entre Eve Saint Hilaire et le gardien de la paix Sarras.
Atterré par cette nouvelle, désespéré de voir son couple se défaire, le commissaire Wuenheim ne savait plus comment s'en sortir. Pourtant, il trouva les ressources nécessaires pour poursuivre dans la direction qu'il s'était assignée. C'était le seul moyen de prouver à Eve qu'il avait eu raison de la protéger de son père. Il devait absolument interpeller Saint Hilaire et lui faire avouer ses crimes et notamment le meurtre de sa femme. C'est dans cet état d'esprit qu'il partit rendre une visite aux gérantes de l'agence de location de mannequins.
***
Monica Fortia était furieuse lorsqu'elle vit pénétrer sa sœur jumelle dans le local qui leur servait d'agence. Ayant un caractère aussi trempé que le sien, elle proféra un nombre incalculable de reproches, et les cernes que Rebecca affichait sous les yeux ne constituaient pas l'un des moindres.
– Tu ne vas pas me dire que tu as couché avec un client ? hurla-t-elle dans le bureau d'accueil.
Rebecca ne put dissimuler un sourire fautif qui éclaira la situation. Enfreindre la règle, c'était risquer de tout gâcher. Les deux sœurs s'étaient toujours battues pour qu'on ne les confonde pas avec des péripatéticiennes. Faire une telle erreur, c'était risquer de voir débarquer la police des mœurs d'un instant à l'autre. De plus, Monica savait très bien que Rebecca serait incapable de jouer la comédie devant leurs clients, si son cœur battait pour un autre homme. Les vociférations de sa sœur ne semblaient pas atteindre la charmante jeune femme blonde. Une fois sa salive épuisée, elle dut se résoudre à l'évidence :
– Mon Dieu ! Elle est amoureuse !
Rebecca tenta d'expliquer à sa jumelle qu'elle ne devait pas voir le mal partout et qu'elle n'avait eu aucune relation sexuelle au cours de la nuit dernière, mais qu'elle était impatiente de lui parler du commissaire Saint Hilaire. Monica Fortia consentit à maîtriser ses émotions et à concentrer son attention sur les péripéties de la veille. Rebecca raconta comment, au restaurant, elle avait été démasquée par son beau policier. Puis elle fit le récit de leur quête de renseignements auprès du détective, omettant tout de même de parler des menaces avec arme, de la séquestration et du vol de la voiture du dit détective. Enfin, elle aborda la nuit qu'elle avait passée avec Saint Hilaire, oubliant juste de signaler à Monica qu'il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt pour meurtre.
– Voilà ! Tu sais tout ! termina-t-elle sans aucune honte.
C'est à ce moment-là que deux voitures de police, toutes sirènes hurlantes, vinrent déraper aux abords de la vitrine de l'agence. Un homme grand et sec portant des lunettes en descendit, hystérique. Il poussa la porte en exhibant sa carte de police.
– Mesdames ! dit-il en saluant de la tête. Commissaire Wuenheim...
***
La vaisselle volait en éclats dans la cuisine intégrée dernier cri, en ardoise marron. Henri Pupillin s'était transformé en fauve lorsque sa femme était rentrée de ses prétendues courses. Outre les mensonges d'Irène, il avait dû subir une humiliation en règle de la part de ce jeune loup de Wuenheim. Il était vexé. Tous ses confrères seraient bientôt au courant du camoufflet qu'il venait de lui infliger. Il avait décelé dans l'intonation de sa voix un plaisir sadique à lui apprendre la trahison de sa femme. Pupillin, qui ne lui avait jamais facilité les choses lorsqu'il enquêtait sur l'un de ses services, ne pourrait plus jamais lui tenir tête. Il ne pourrait plus éviter à ses hommes de passer à la moulinette des bœuf-carottes. Cela le rendait fou. Il ne décolérait pas malgré les pleurs d'Irène. Comment allait-il s'expliquer devant le préfet de police ? On lui imposerait sûrement un départ à la retraite anticipée. Il en était convaincu. La fin de sa carrière avait sonné. Et le glas avait été actionné par sa propre femme ! Exigeant des explications, et n'attendant pas qu'elle sèche ses larmes, il lui ordonna de lui raconter tout ce qu'elle savait. Irène, maîtrisant son émotivité, énonça pour la seconde fois de la journée la mise en scène choisie par Marthe pour disparaître. Elle parla de la liaison orageuse qu'elle entretenait et le chantage dont elle avait été victime. Elle expliqua son silence par la promesse qu'elle avait faite à son amie maintenant disparue, de ne jamais révéler où elle se cachait. Enfin, elle oublia de confier à son mari la rencontre inopinée avec Pierre Saint Hilaire et Rebecca Fortia. Elle se refusa également à évoquer avec lui toutes les hypothèses étudiées au petit déjeuner. Même si elle s'était rebiffée lorsque le mannequin avait envisagé l'idée que son mari puisse être le maître chanteur, elle ne raya pas complètement cette possibilité de son esprit. En tant qu'ami proche de Saint Hilaire, il aurait très bien pu insister auprès de Marthe pour qu'elle cesse de le tromper. Ayant confiance en Pierre, Irène décida de lui offrir la chance de trouver le véritable assassin. Son silence lui offrait quelques heures d'avance sur ses poursuivants.
***
Léognan était dans l'un de ses mauvais jours. Lui qui aimait son confort et la routine quotidienne supportait mal les affres de cette journée. Henri Pupillin lui avait donné les commandes du commissariat, à titre provisoire. Mais il était devenu le chef d'un bocal vide. Saint Hilaire était en fuite. Caramany avait été tué. Et Sarras était parti en vadrouille à l'Institut médico-légal soi-disant pour signer un procès-verbal qu'il aurait oublié de griffonner dans la nuit. Ainsi, au lieu de s'asseoir dans le sacro-saint siège en cuir du commissaire et de larver en attendant l'apéritif, il se retrouvait à prendre les plaintes au guichet de l'accueil, faute de combattants. Tout le reste des effectifs avait été réquisitionné par la direction pour tenter de retrouver Saint Hilaire. Seule Claire restait fidèlement à son poste pour seconder le major.
– S'il y a une attaque de banque, il faudra me donner une arme si vous voulez que j'assure vos arrières ! dit-elle en plaisantant.
Mais l'homme au poids démesuré n'était pas d'humeur joviale. Des gouttes de sueur perlaient sur son front et on le sentait prêt à craquer. Lui aussi s'en voulait d'avoir remis le couteau à Saint Hilaire. C'était lui qui avait empêché Sarras d'avertir le commissaire Wuenheim de la découverte de cette arme dans le bureau du lieutenant Caramany. Maintenant le commissaire était recherché pour meurtre et le commissariat était complètement désorganisé.
Mais la cerise sur le gâteau se matérialisa par l'apparition sur le palier d'une personne chargée de mettre en place une cellule psychologique d'aide aux fonctionnaires du service. Le major Léognan resta sans voix. L'hôtesse d'accueil avait du mal à cacher un fou rire irrépressible. La psychologue à la trentaine flamboyante, semblant tout juste sortir des bancs de la faculté, portait un superbe tailleur gris. Une broche en faux diamants, représentant un scarabée, agrémentait sa veste et attirait l'œil des deux seuls rescapés du commissariat.
– Quand pourrais-je m'entretenir en particulier avec les membres du service ? demanda-t-elle, pressée de se mettre à l'écoute des âmes sensibles.
Claire était incapable d'énoncer une seule parole et regarda son nouveau chef, attendant une réaction de sa part. Le major Léognan commença par s'enquérir de l'identité du commanditaire de cette initiative. Lorsque la jeune femme lui apprit que c'était la Préfecture de police qui avait ordonné cette mission de soutien, il dut se résigner à prolonger la conversation. Il expliqua gentiment à la professionnelle qu'il n'y avait plus personne dans le commissariat, à part Claire et lui-même, et lui proposa de prendre rendez-vous pour une date ultérieure. La psychologue lui précisa que son travail devait se dérouler dans la concomitance des événements et qu'elle pouvait tout à fait commencer à s'entretenir avec eux. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Le major monta sur ses grands chevaux. Il retraça tous les faits marquants de sa carrière de militaire puis de policier, détaillant les meurtres les plus sordides auxquels il avait assisté, tortures, viols, dépeçages et autres horreurs que tout policier, digne de ce nom, était malheureusement condamné à rencontrer au cours de sa vie professionnelle. Il termina son exposé macabre en minimisant la portée du meurtre de Caramany par Saint Hilaire.
– Vous ne pensez quand même pas, que ce sont quelques coups de couteau dans le ventre de mon lieutenant qui vont me perturber ? explosa-t-il à l'intention de la psychologue.
Celle-ci ne se démonta pas. Elle rétorqua du tac au tac qu'une personne refusant de débattre d'un événement choquant était de ce fait en état de blocage mental. Elle précisa qu'il risquait une secousse psychologique telle qu'elle pouvait dégénérer en dépression dans les mois à venir.
Elevé à l'ancienne, le major Léognan ne pouvait se résoudre à de telles fadaises. Voyant qu'il n'arriverait pas à se dépêtrer de cette situation, il prit sa première décision de chef du commissariat. Il ordonna à Claire de passer l'entretien psychologique en premier. L'hôtesse cessa de rire aussitôt et afficha une moue rageuse à l'encontre du policier. Léognan, désireux de mettre un terme à cette discussion, prétexta une somme importante de travail pour s'engouffrer dans la cage d'escalier et rejoindre son bureau.
Encore énervé par tout ce qui lui arrivait, le major sortit de son placard une petite bouteille de whisky et en ingurgita deux rasades pour se calmer. Un bruit provenant du bureau de Caramany lui fit interrompre sa dégustation. Trouvant cela bizarre, il pensa un instant que Sarras était probablement rentré. Léognan resta interloqué lorsqu'il franchit la porte du bureau du lieutenant. Saint Hilaire, à genou, fouillait dans les documents du défunt policier qui jonchaient encore le sol, depuis la perquisition de l'I.G.S.. Le subalterne lâcha un « patron ! » qui fit sursauter le visiteur. Le major ne sut s'il devait rectifier sa position en signe de respect ou sortir son arme pour le mettre en joue. Hésitant, il resta immobile, pantois, devant l'incroyable apparition.
– Je ne l'ai pas tué ! dit Saint Hilaire énergiquement. Sinon je ne serais pas là à chercher des indices, ajouta-t-il pour convaincre son assistant.
Le bon major écouta attentivement la version de son patron. Atterré par ce qu'il apprenait, sa première réaction fut d'aborder ce qui le touchait de plus près.
– Mais qui a bien pu pénétrer de nuit dans le commissariat pour dérober le couteau puis le remettre à sa place ? interrogea-t-il.
Saint Hilaire n'avait pas de réponse. Son silence affola son adjoint.
– Vous ne croyez tout de même pas que j'aie pu être capable de cela ? fit-il, offusqué.
– Bien sûr que non ! rassura le commissaire. Mais j'ai besoin que vous répondiez franchement à une question...
Sans s'encombrer de préambule, Saint Hilaire lui demanda s'il était au courant d'une liaison extraconjugale qu'aurait pu entretenir sa femme avec quelqu'un de son entourage. La surprise s'imprima sur le visage du major. Le commissaire comprit rapidement que Léognan n'avait rien à voir avec toute cette histoire.
– Et Sarras ! Aurait-il pu venir chercher le couteau au commissariat ? demanda Saint Hilaire.
– Sarras ! Mais c'est impossible !
Le policier était stupéfait des soupçons émis par son patron.
– C'est moi, commissaire, qui ai découvert le couteau accroché à la fenêtre ! Et lorsque nous avons réfléchi à ce que nous devions en faire, Sarras voulait à tout prix que nous le remettions au commissaire Wuenheim. Et c'est encore moi qui ai insisté pour qu'on le replace là où il se trouvait. Il n'aurait donc pas pu imaginer un tel plan !
Saint Hilaire pestait. Il ne savait plus où chercher. Ses pistes se terminaient en queue de poisson. Les dossiers de Caramany avaient été pillés par les enquêteurs de l'I.G.S.. Il ne restait plus rien d'intéressant. Comment allait-il procéder pour identifier le tueur machiavélique de sa femme et de son adjoint ? Comment allait-il dénouer les nœuds de cette histoire ? Ses espoirs s'amenuisaient peu à peu sans qu'il ait les moyens de réagir.
Voyant le triste état dans lequel se trouvait son chef, le major lui proposa de déjeuner. Un bon repas le requinquerait sûrement. Pour une fois, Pierre Saint Hilaire accepta l'invitation.
***
Le commissaire stagiaire Le Taillan râlait tout seul dans sa voiture. Il aurait aimé partir avec son chef dans l'agence de location de mannequins. Ce n'était pas tous les jours que les suspects étaient de superbes femmes. Mais, comme d'habitude, les tâches ingrates lui revenaient, le commissaire Wuenheim se gardant le meilleur pour lui-même. Un appel du commissariat des Grandes Carrières, dans le 18e arrondissement de Paris, avait demandé l'intervention de l'Inspection générale des services sur une affaire suspecte. Son supérieur, de mauvais poil, l'avait assigné à cette tâche, d'un regard glacial. La décision était sans appel. Le haut fonctionnaire se fit donc une raison et partit en direction de la butte Montmartre.
Deux véhicules de police attendaient au milieu de la rue, l'arrivée de Le Taillan. Un policier en tenue l'accueillit par un salut militaire et le conduisit dans une impasse pour retrouver l'officier de police judiciaire. L'enquêteur le salua respectueusement et lui fit découvrir un corps sans vie dans une benne à ordures. Le commissaire stagiaire crut reconnaître une femme. Des immondices recouvraient en partie le cadavre. L'odeur était insoutenable. Le Taillan, déjà sur les nerfs, ne comprenait pas pourquoi on l'avait fait se déplacer. C'était encore une fois une erreur d'attribution. Lui s'occupait de flics corrompus et n'avait rien à voir avec un vulgaire assassinat. Il demanda à ce qu'on appelle la Brigade criminelle qui était compétente pour ce genre d'affaire. L'enquêteur ayant procédé aux premières constatations, garda un calme impérial en voyant le commissaire stagiaire faire demi-tour en direction de sa voiture. Il se permit alors de répondre aux reproches de Le Taillan :
– Ce n'est pas une erreur, monsieur le commissaire, dit-il en insistant sur sa fonction. Je vous ai fait venir jusqu'ici parce qu'il s'agit du cadavre de la dénommée Mélanie Bouzy !