Chapitre Vingt-Quatre
Une pancarte blanche, accrochée à la poignée de la porte d'entrée indiquait : Fermeture définitive. A travers la vitrine, Saint Hilaire distingua une pièce vidée de son contenu. Un carton abandonné restait sur la moquette d'un bleu délavé. Elles étaient parties. Leur rencontre avec la police les avait échaudées. Elles avaient préféré jeter l'éponge. Le commissaire avait bien tenté de téléphoner avec le portable de Rebecca à sa sœur Monica, mais en vain. La tonalité sonnait dans le vide. Les menaces de Wuenheim avaient dû les effrayer. Une nouvelle fois, Saint Hilaire voyait disparaître la femme qu'il aimait. Il devait le reconnaître, il n'était pas resté insensible au charme du jeune mannequin. Sa beauté, son caractère bien trempé, et ces événements qui les avaient poussés dans les bras l'un de l'autre avaient eu raison de ses sentiments. Mais il était arrivé trop tard ! Trop tard pour lui expliquer qu'elle ne risquait plus rien. Que toutes les plaintes avaient été retirées, une fois la vérité connue. Devait-il se mettre à chercher cette femme comme il s'était mis en chasse de Marthe ? Il n'en avait plus le courage. La chance avait mis Rebecca sur sa route. Il comptait maintenant sur le hasard ou le destin pour la croiser à nouveau. Peut-être demain ? Peut-être jamais ? Que lui réservait son avenir ?
La joie de savoir sa fille vivante lui suffisait amplement pour le moment. Elle se remettait lentement de son agression. Sarras lui avait apposé sur le visage un coton imbibé d'éther. Une fois évanouie, il l'avait allongée sur le corps de sa mère puis enfermée dans un compartiment de la chambre froide de la morgue. Les médecins avaient mis plus de deux heures avant de réussir à la réanimer. Elle aurait besoin de temps pour surmonter ce qu'elle avait dû endurer. Elle devait se reconstruire. Même si ses sentiments pour Wuenheim étaient confus, la nouvelle de sa mort la plongea dans un grand désarroi. Il n'avait cherché qu'à la préserver. Il aurait donné sa vie pour la protéger. Lorsque Saint Hilaire lui rapporta ses dernières paroles, elle fondit en larmes. La malheureuse allait devoir endurer une succession d'enterrements. Mais Saint Hilaire se jurait d'être présent pour elle. Il ne la négligerait pas comme il avait négligé sa mère. Il allait lever le pied. Il n'avait plus qu'elle dans sa vie, et il comptait bien lui manifester tout son amour.


La veille, ils avaient enterré Marthe dans la plus stricte intimité. Henri et Irène Pupillin avaient accompagné le cercueil au funérarium avec eux. Irène avait beaucoup pleuré. Eve avait contenu ses émotions. Mais son père avait senti son infinie tristesse. Enfin, ensemble, ils avaient rejoint le cimetière du Père Lachaise pour y déposer l'urne dans le caveau familial. Eve tenait le réceptacle contenant les cendres de sa mère entre les mains. Le soleil éblouissant faisait briller les pavés des allées. Le chant des oiseaux dans les branches donnait un avant-goût du printemps. Bientôt la nature reprendrait ses droits. La vie allait jaillir de toutes parts. Saint Hilaire avait tout pardonné à son épouse. Savoir qu'elle avait cherché à connaître ses sentiments lui prouvait qu'elle l'aimait encore. Peut-être auraient-ils pu tout reconstruire ! Avec la disparition de Marthe, il mesurait le temps perdu à courir après les bandits, les assassins et autres malfrats. Comment avait-il pu tout sacrifier pour ce métier ? La police l'avait éloigné de l'essentiel, de sa famille. Elle l'avait aveuglé, et lui avait dissimulé les priorités. Une véritable révolution se produisait dans l'esprit du commissaire.
Dans l'allée en pierres qui les ramenait vers la sortie du cimetière, Saint Hilaire prit Henri Pupillin par le bras. Ils devancèrent Irène et Eve qui évoquaient déjà le souvenir de Marthe. Délicatement et sans que les deux femmes s'en aperçoivent, il tira son porte-cartes en cuir de sa veste et le donna à son supérieur. Henri n'eut pas besoin de l'ouvrir pour comprendre ce qu'il contenait. Saint Hilaire jetait les armes. Il rendait sa carte professionnelle et sa plaque de police. Le commissaire Pupillin ne tenta pas de le dissuader. Ce n'était pas le moment. Saint Hilaire tirait un trait sur une existence qui lui semblait maintenant bien futile et dérisoire. D'autres priorités le guidaient. Une vie nouvelle l'attendait.
Un autre homme était né.